Tribunes

Football et Lutte des classes

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Le 13 juillet prochain, environ trois milliards de personnes seront devant leur poste de télévision. Dans les places publiques, les bars, en famille ou entre amis, ce grand rituel international est l’évènement le plus suivi et regardé au monde. L’impact des réseaux sociaux fera que partout dans le monde, nulle âme ne pourra y échapper… Mais de quoi parle-t-on ? De la fin du monde ? Du début de la IIIème guerre mondiale ? Absolument pas. Il s’agira ni plus ni moins de la finale de la prochaine coupe du monde de la FIFA qui aura lieu au Brésil.

Comment expliquer cet engouement ? Comment expliquer le fait que 22 jeunes hommes (23 avec l’arbitre) qui courent derrière un ballon rond en cuir puissent avoir un tel impact sur la politique, l’économie, la finance, la consommation voire la géopolitique ?
Un modeste billet pour décrypter un sport aux enjeux multiples et variés dans un contexte de lutte historique et ce à quelques jours du lancement du tournoi.

 

Foot et prolétariat, un 4-3-3 de luttes

De façon souvent péjorative, pour l’inconscient collectif, les « footeux » sont perçus comme l’émanation de ce qu’il y a de plus détestable dans nos sociétés contemporaines empruntes de déterminisme. Qu’on le pratique ou qu’on le regarde ce sont, selon certains, des gens stupides, suintant la transpiration, colériques et injurieux, bref disons-le, la définition même du beauf… Pourtant, un esprit honnête et curieux essayera de pousser la réflexion en analysant de plus près les raisons qui font que le peuple apprécie avec passion cet indémodable opium.

Le football est né à la fin du XIXème siècle au sein de l’aristocratie anglaise¹. Assez rapidement, ce sport va connaître la ferveur des classes de mauvaise fortune. La simplicité des moyens à son exercice va très vite entraîner une appropriation de ce jeu par les classes miséreuses. Outre leur ferveur passionnelle, les ouvriers pratiquant le football vont développer une nouvelle technique de jeu. A sa genèse, les aristocrates privilégiaient le jeu individuel où l’agilité et la technique personnelle étaient de mise. Très vite, ils vont se heurter au jeu des ouvriers qui préfèrent le jeu en passe sanctuarisant l’esprit collectif de ce sport². Des bas fonds de Manchester en Angleterre en passant par les mines du nord de la France, le foot prolétaire se développe comme les acquis sociaux se transforment en but à force de lutte. Les premières équipes voient le jour et des mythes naissent. De là, le football va accompagner la société et ses couches populaires sous le rythme des victoires des premières grandes équipes et de ses stars.

Dès le début, le football traverse l’Atlantique. Au rythme du tango, les prolétaires argentins des rives de la Plata se passionnent pour ce sport. Ce subtil mariage entre tango et football donnera naissance quelques années plus tard à un certain Diego Armando Maradona. Dans un Brésil racialiste et ségrégationniste, les aristocrates blancs qui sont les seuls à pouvoir entrer au stade s’émerveillent devant la technique d’un « petit nègre » qui du haut de ses 17 ans donnera à la Selécao sa première coupe du monde³. Le roi monte sur le trône, il s’appelle Pelé. En Europe, les ouvriers des chemins de fer de Manchester gagnent leur premier championnat mais leur prédominance se voient très vite remise en cause par un autre club prolétaire : Liverpool, qui fera notamment vibrer le cœur d’un certain John Lennon.

En France, au début du siècle, les ouvriers de Peugeot font connaître le pays de Montbelliard sous un autre jour avec le Football Club de Sochaux. Plus tard ce sont les mineurs de la Loire qui soufflent la braise dans un « chaudron » quand les Verts de Saint-Etienne entrent sur le terrain. L’histoire nous dira peut-être que ce même soir de 1976 où Saint-Etienne atteint la finale de la coupe d’Europe¹, le fils d’un modeste couple d’immigrés kabyles appelé Zinedine foule le sol du quartier de la Castellane à Marseille et tape dans son premier ballon…

Manchester

On vient de le voir, le foot est lié aux classes populaires et même si de nombreux intellectuels dits de gauche sur un ton arrogant et méprisant ont fustigé et fustigent encore ce sport, la meilleure réponse sera apportée par le grand penseur marxiste italien du début du XXème siècle, Gramsci, qui fit l’éloge « de ce royaume de loyauté humaine exercé en plein air » pendant que les premières municipalités socialo-communistes de banlieue développent en masse les premiers terrains municipaux popularisant définitivement ce sport.

 

Foot et politique, un 4-4-2 d’histoire

Pour comprendre l’essor du football, il faut bien comprendre que le foot a accompagné les bouleversements de l’humanité tout au long du XXème siècle.

Outil de propagande des régimes autoritaires, les initiés connaissent tous l’histoire du match entre une sélection nazie et le Dynamo de Kiev, club phare d’une Ukraine occupée par les armées du Reich. Ce jour de 1942, les joueurs du Dynamo ont commis la folie de battre la sélection nazie dans leur stade local. Les 11 joueurs seront fusillés quelques jours après et leurs corps jetés dans un ravin² . Dans l’Espagne franquiste, le Real Madrid est le club du régime. Déjà à l’époque, le Real stupéfiait le monde, la dictature de Franco avait trouvé là un ambassadeur de choix. C’est sans compter sur la résistance des Catalans et le déjà très grandiose FC Barcelone. En 1937, les joueurs du Barça effectuent une tournée aux Etats-Unis et au Mexique et rayonnent de talent. Les billets de stade vendus serviront à financer la résistance autonomiste face à la dictature, ce qui vaudra au président du Barça de tomber sous les balles franquistes³ . Enfin, en pleine guerre d’indépendance, l’Algérie du FLN forma une équipe qui revêtit pour la première fois les couleurs de la patrie. La sélection des « fennecs », composée de nombreux joueurs évoluant en France comme Rachid Mekhloufi à Saint-Etienne, se fera durement sanctionnée par la FIFA (Fédération Internationale de Football) et les joueurs évoluant en France seront arrêtés et mis en détention.

Si l’histoire du foot est liée à l’histoire politique, c’est surtout parce que ce sport déchaîne les passions et nos gouvernants l’ont parfaitement compris. De la propagande au cynisme électoraliste, le foot et la politique sont les rares pratiques qui au fil du temps sont devenues des métiers, alors qu’ils n’y étaient absolument pas destinés initialement.

Le cas atypique de la France mérite qu’on se penche dessus. Des « blacks, blancs, beurs » de 1998 nous sommes passés aux racailles des cités de Knysna en Afrique du Sud en 2010. De la Marseillaise non chantée aux turpitudes de Samir Nasri, la déchéance des bleus accompagne la montée de l’extrême droite. L’interview de l’ultra-sioniste Alain Finkielkraut, aujourd’hui académicien, dans le quotidien Haaretz en est le syndrome le plus flagrant¹.
Mais peut-être que les turpitudes de ce noble sport sont à chercher ailleurs et notamment dans les portefeuilles.

 

Foot et modernité, un 4-2-3-1 de faillite

Dans son ouvrage Le football, ombre et lumière² , l’auteur Galleano écrit :

« L’histoire du football est un voyage triste, du plaisir au devoir. A mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer. En ce monde de la fin de siècle, le football professionnel condamne ce qui est inutile et est inutile ce qui n’est pas rentable. »

Ses lignes tirées de son ouvrage paru à la fin des années 1990 apparaissent comme quasi-prophétiques. Dans ma description, au début de ce billet, j’ai volontairement omis d’ajouter un élément dans la vision péjorative que le quidam se fait des footballeurs. Si les premières stars du foot moderne comme Yohan Cruyff, Pelé ou encore Eric Cantona étaient des gens relativement modestes, il n’en est rien pour la nouvelle génération de footballeurs.

Cupides, méprisants et gâtés, ces gamins à peine sortis de l’adolescence roulent sur l’or. Les sommes perçues par les Christiano Ronaldo, Leo Messi ou Karim Benzema frisent l’indécence alors même que la majorité d’entre eux est issue de couches modestes. Les achats de joueurs se font en centaines de millions. Les oligarques russes face au pétrodollar du Moyen-Orient se font une guerre impitoyable sur le marché des transferts aux joueurs et ce depuis l’arrêt Bosman rendu en 1995. Cette décision de la cour de justice de la Communauté Européenne constitue un moment décisif et particulièrement destructeur dans cette mise en place des logiques ultralibérales³ . Des grandes marques comme Nike font signer des contrats mirobolants avec ces stars pour vendre leurs produits fabriqués par des enfants en Asie du Sud-Est. Le budget de la FIFA est quasi le double de celui des Nations-Unies. Le choix des états organisateurs de la coupe du monde se fait par vote dont la légalité est particulièrement douteuse. Dans quelques semaines, pour la première fois, une coupe du monde aura lieu alors que des stades ne sont même pas prêts et surtout en pleine crise sociale. Que dire de la coupe du monde au Qatar où les supporters regarderont des matchs assis sur les tombes des centaines de pauvres ouvriers népalais qui travaillent dans des conditions de quasi-esclavagisme.

bresil coupe du monde

Face à cette situation apocalyptique digne d’un livre d’Orwell, sommes-nous obligés d’abdiquer ? Les nombreux passionnés de foot vont-il arrêter de regarder les matchs ou d’aller au stade ? Il est vrai que les amoureux de ce sport comme moi s’interrogent. D’un simple ballon que l’on fait tourner les dimanches ou que l’on regarde entre amis, comment devons-nous réagir ?

Le développement de l’actionnariat populaire notamment dans certains clubs en France ou en Angleterre où le pouvoir est rendu aux supporters pour contrer les velléités des spéculateurs peut être une source d’espoir¹ . L’avenir nous dira si le fair play financier prôné par le président de l’UEFA Michel Platini, permettrait de calmer les ardeurs financières des patrons de clubs européens.

D’ici là, rendons à ce noble sport les raisons qui font qu’il déchaîne les passions. Des gestes, de l’art et en ce qui me concerne les nombreux moments de joie en admirant émerveillé le jeu de celui qui est et qui reste à mes yeux le plus grand joueur de tous les temps:

 Par Ouajdon, Le Verbe Populaire

1) http://www.linternaute.com/histoire/magazine/dossier/06/foot/2.shtml%5B/embed%5D
2)  « Les intellectuels, le peuple et le ballond rond » J.C Michéa, 2010, Ed. Climats
3) Le Brésil remporte sa première coupe du monde en 1958 en Suède après une victoire en finale 5-2 dont deux buts de Pelé âgé alors de 17 ans.
1)  http://www.linternaute.com/sport/magazine/les-defaites-aussi-mythiques-que-des-victoires/st-etienne-munich-1976-les-poteaux-carres.shtml[/embed]
2) http://www.lematin.ch/culture/livres/Ils-avaient-prefere-la-mort-au-match-arrange/story/16006805
3) Le club blaugrana, qui a toujours participé au championnat depuis sa création en 1929, s’affirme rapidement comme le porte-drapeau de la Catalogne. Durant la guerre civile, Josep Sunyol, président du club est fusillé par les troupes du général Franco pour ses idées autonomistes catalanes. A l’issue du conflit, Franco s’attache à supprimer les particularismes culturels et politiques d’Espagne, notamment ceux du Pays Basque et de la Catalogne. Le FC Barcelone est muselé. A partir de ce moment le club acquiert une nouvelle dimension et devient l’un des symboles majeurs du catalanisme. Ce rôle est notamment souligné par la devise du club « Més que un club » (« plus qu’un club » en catalan). http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_FC_Barcelone
1)  http://questionscritiques.free.fr/edito/haaretz/finkielkraut_171105.htm
2) « Le football, ombre et lumière », Galleano, 1997, Ed.Climats
3) http://www.taurillon.org/Football-et-arret-Bosman-de-l-Europe-des-nations-a-celle-des-marches,06050
1)  http://www.terraeco.net/Pour-un-foot-plus-durable-l,53437.html

5 réflexions sur “Football et Lutte des classes

  1. Remarquablement bien écrit, on en reste même sur notre faim … J’ai lu certains des autres articles de l’auteur et force est de reconnaître qu’il écrit bien.
    A quand la seconde partie ? Par contre, c’est quand même drôle de voir que l’AS Saint-Etienne est cité à plusieurs reprises de façon positive sur un blog Lyonnais … Manifestement, le vivre ensemble est un concept que votre association pousse très loin !

  2. Pingback: Sócrates : entre football et romantisme révolutionnaire | Le Comptoir

  3. Pingback: Le Football appartient au peuple | Le Comptoir

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